Arcueil le 12 février 2019
Madame la Députée,
Nous tenons à vous alerter sur la situation des établissements scolaires et sur les menaces que fait peser la réforme en cours sur l’enseignement et sur les libertés des enseignants dans notre pays.
L’article 1 maintenu intact par la Commission sur l’Education de l’Assemblée Nationale demande d'insérer un article L. 111-3-1 dans le Code de l'éducation ainsi rédigé : " Art. L. 111-3-1 - Par leur engagement et leur exemplarité, les personnels de la communauté éducative contribuent à l’établissement du lien de confiance qui doit unir les élèves et leur famille au service public de l’éducation. Ce lien implique également le respect des élèves et de leur famille à l’égard de l’institution scolaire et de l’ensemble de ses personnels. "
Si personne ne peut contredire l’idée de l’exemplarité des enseignants, ni celle du respect mutuel qui doit exister dans la communauté éducative, l’étude d’impact de la loi réalisée par le Ministère est beaucoup plus inquiétante : "Il en ira par exemple ainsi lorsque des personnels de la communauté éducative chercheront à dénigrer auprès du public par des propos gravement mensongers ou diffamatoires leurs collègues et de manière générale l’institution scolaire. Ces dispositions pourront également être utilement invoquées par l’administration dans les cas de violences contre les personnels de la communauté éducative ou d’atteintes au droit au respect de leur vie privée, notamment par le biais de publications sur des réseaux sociaux".
Ainsi, si un enseignant, dans le cadre de sa classe ne doit pas exprimer ses convictions, cette loi, de fait, interdit aux enseignants de s’exprimer dans l’espace public en critiquant l’institution ou le Ministre sous peine d’être révoqués. Que se passe-t-il alors lors des manifestations ? Les enseignants n’ont plus le droit de s’opposer à l’institution ? Ils n’ont donc plus de liberté d’expression ? Que se passe-t-il lorsqu’un enseignant est, par ailleurs élu de la République – ils sont nombreux – il n’a plus le droit de prendre des positions politiques opposées à celles du Gouvernement ? Cela signifie donc qu’un enseignant ne peut plus participer à la vie politique. C’est un comble. Cette loi cherche à museler les enseignants reconnus comme trop critique vis-à-vis de l’Education Nationale.
De fait, nous aussi, nous sommes critiques vis-à-vis de la loi sur l’Education proposée par votre majorité. Au lycée, la majorité des programmes ont été imposés alors qu’ils avaient recueillis un vote négatif du Conseil Supérieur des programmes. Les programmes d’Histoire et Géographie par exemple représentent une formidable régression : l’enseignement de l’Histoire bataille ne se fait plus depuis 40 ans. La place des femmes et des immigrés dans l’Histoire sont réduites à la portion congrue…
La volonté de se précipiter et de changer les programmes des classes de seconde et de première en même temps n’a aucune justification. Elle crée chez les élèves, les familles, les enseignants de la panique et de l’incompréhension. Comment déterminer en seconde quelles spécialités choisir alors même que les attendus des établissements post-bac ne sont pas déterminés ? Comment dire aux familles qu’elles peuvent choisir ce qu’elles veulent alors que l’on sait très bien que dans la pratique toutes les combinaisons ne seront pas possibles pour des raisons de faisabilité des emplois du temps. Dans un lycée de 350 élèves de secondes actuellement, ce ne sont pas moins de 32 combinaisons différentes qui ont été souhaitées par les élèves pour la rentrée 2019 : la réalisation d’un tel choix est impossible !
Cette précipitation a aussi des conséquences pratiques : les éditeurs de manuels scolaires ont d’ores et déjà annoncé qu’ils ne pourraient pas proposer des manuels dans toutes les disciplines – tronc commun et spécialités – et pour les deux niveaux concernés. La Région Ile-de-France, elle, fait pression sur les établissements pour qu’ils choisissent des manuels numériques afin que cela représente une dépense moindre pour la Région. Cela n’est pas acceptable car cela revient à placer les jeunes devant des écrans en permanence, plus encore qu’ils ne le sont aujourd’hui, y compris dans la salle de classe. Par ailleurs, cela suppose qu’ils aient tous à leur disposition un ordinateur ou une tablette chez eux afin de travailler sur le manuel en question – or ce n’est pas toujours le cas.
Cette réforme s’accompagne d’une baisse des moyens attribués aux établissements ce qui signifie qu’il va falloir faire des choix : soit ce sont les heures dédoublées qui permettaient de faire travailler les élèves en petits groupes qui vont disparaître et ainsi les élèves qui sont le plus en difficulté vont l’être davantage ; soit ce sont les options qui vont disparaître, ce qui fait donc la diversité et la richesse de notre enseignement.
Cette loi propose donc un appauvrissement de notre enseignement et accentue les inégalités au lieu de les corriger.
De fait, cela se voit aussi au niveau des écoles maternelles. Si, l’obligation de la scolarité dés trois ans est une bonne chose (même si déjà 98% des enfants de cet âge étaient scolarisés), les amendements proposés par G. Pau Langevin et M. Larive qui demandaient qu'en échange du financement des écoles maternelles du privé, celles-ci soient obligées à davantage de mixité sociale ont été rejetés. Pourquoi la mixité sociale ne devrait-elle pas être présente dans toutes les écoles que la République finance ?
En outre, la faible considération que la société accorde aux enseignants et la faible reconnaissance qu’ils ont de la part de leur institution n’encourage pas les jeunes à choisir ce métier. Or, aujourd’hui, dans votre circonscription, il n’y a plus de remplaçant disponible et donc les enfants dont l’enseignant n’est pas présent n’ont pas cours ou alors vont surcharger encore davantage les classes des autres enseignants.
Madame la Députée, vous conviendrez donc que la réforme proposée ne va globalement pas dans le sens d’une plus grande égalité scolaire, qu’elle ne permettra pas de corriger les inégalités sociales, ni d’endiguer le nombre de jeunes qui sortent du système scolaire sans diplôme.
Que comptez-vous faire ? Pourquoi votre majorité appauvrit-elle autant l’enseignement public alors même qu’il est essentiel dans la défense de la laïcité, des libertés, dans la construction de citoyens responsables ?
Nous vous remercions pour l’attention que vous voudrez bien accorder à cette lettre.
Le Groupe des élus Belle Alliance citoyenne, socialiste et écologiste d’Arcueil
Sophie Lericq, Juliette Mant, Ludovic Sot Adjoints au Maire d’Arcueil et Constance Blanchard Conseillère Municipale.
Notre tribune dans l'ANC du mois de mars 2019 : https://www.socialistes-arcueil.com/post/loi-blanquer-sur-l-education-la-régression-et-non-l-ambition